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17 novembre 2016 4 17 /11 /novembre /2016 22:12

 

Un spectacle où tout EST très bien

(c) Hélène Godet

(c) Hélène Godet


Hélène Godet a présenté sa pièce Poudre, « Un spectacle où tout va très bien » lors du festival Premier Acte Avant Récidive. Il permet aux étudiants en master de mise en scène de l’université de Bordeaux Montaigne de montrer des projets professionnels ou en voie de professionnalisation. Et effectivement, tout va très bien dans ce spectacle. Sous l’angle du burlesque, Hélène Godet raconte les péripéties d’une Marquise une heure et quart avant la révolution. Accompagnée de ses deux valets, ils attendent une amie pour le goûter. Pour occuper le temps, elle raconte des histoires et joue avec eux… Ils sont dociles mais bientôt les premiers doutes surviennent. L’un se moque puis pose des questions et l’autre répond, mais pendant ce temps entre deux rires, les spectateurs peuvent également s’interroger sur leur condition. A côté du spectacle de ce milieu noble, pour évoquer les grondements de la révolution, un chœur de trois chanteuses interprète des airs connus du répertoire populaire ou classique révélant l’intolérable insouciance de cette fantasque marquise.

 

Et puisque ce petit monde tourne autour d’elle, parlons-en. Pauline Blais interprète une marquise à l’énergie comique inépuisable. Elle se sert de tout ce qu’elle a à disposition pour provoquer le rire du spectateur. Rien n’est épargné et sa première arme c’est son corps. Elle bouge dans tous les sens, se pose dans toutes les positions. Ici point d’étiquette, seule compte l’efficacité comique du geste. Rien ne l’arrête. Si pour mieux voir et appeler un valet, il faut monter sur une chaise, peu importe la robe à panier, Madame réussira à monter. Son costume renforce la qualité loufoque de son comportement. Le traitement qu’elle inflige à sa coiffure en est un exemple des plus parlants. Vertigineuse et fleurie, cette dernière se balance au bout de sa tête avec une amplitude toute menaçante de faire écrouler ce si joli travail. On est loin de l’image d’Epinal qu’on donne des dames de l’époque et cet écart fait du bien aux zygomatiques. N’oublions pas cependant ses valets et leurs remarquables interprètes : le niais Jean joué par Pascal Laurent et l’ironique Valentin par William Petipas. Tous deux sont des appuis de choix pour notre protagoniste qui se plaint d’avoir des serviteurs médiocres mais qu’elle a toujours eu à son service. Prenant de plus en plus de place et d’importance dans la pièce, ils finissent par révéler, bien malgré eux, aux spectateurs les conséquences de leur aliénation d’esclaves qui ne portent pas ce nom. Ils sont l’image même de celle qui les a tant mal que bien éduqués. Leur idiotie du début de la pièce, qu’on prenait pour une marque de leur propre caractère, devient un symptôme de leur maladie sociale. Alors notre rire ne se tarit pas mais peut prendre une teinte jaunâtre si, en se mettant à leur place, nous nous demandons ce qui, dans le monde réel, nous abêtit.

 

A l’image de la marquise qui fait feu de tout bois pour que nous passions un agréable moment, tout le spectacle développe cette démarche visant à se servir de tout. La scénographie et la mise en scène sont modulables pour pouvoir s’adapter librement à chaque lieu de représentation. L’exemple le plus significatif d’une utilisation pertinente de la salle de spectacle de la Maison des Arts - parmi tant d’autres - se situe au final de la pièce. Le chœur interprète sa dernière chanson sur le pas de la porte menant au gril des projecteurs. Il profite ainsi de la résonnance du couloir de service et de la position en hauteur par rapport aux spectateurs. Cette chanson prend ainsi une dimension spectaculaire bien plus grande et une force symbolique accrue puisqu’avec une position surplombante et une sonorité d’église, elle a l’allure d’une sentence irrévocable, presque divine, même si c’est le peuple qui frappe aux portes.

 

Questionnant notre servitude, cette œuvre se fait l’écho des luttes que chacun pourrait vouloir mener de nos jours. En outre, Poudre est un spectacle où tout est très vivant. Tout est susceptible d’évoluer, de bouger, de s’adapter aux nouvelles contraintes que rencontrera la troupe. Cet enthousiasme créatif est de bon augure pour la suite. Ce ne sera jamais une forme figée, toujours prête à enflammer nos cœurs et nos pensées. |

 

JULIEN RATEAU

 

Un spectacle d'Hélène Godet, assistée d'Amély Colas.

Avec : Pauline Blais, Pascal Laurent, William Petipas et Ypresis : Laurine Clochard, Marion Chommaux, Louise Fuseau.

Costumes et coiffures : Hélène Godet et Amély Colas

Création lumière : Richard Manoury

Création Maquillage : Marine Soulié

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29 mars 2016 2 29 /03 /mars /2016 10:12

 

Critique du spectacle Timon/Titus, Collectif Os'o

 

© Pierre Planchenault

© Pierre Planchenault

"Avons-nous une dette envers vous?"

Le spectacle Timon/Titus est une pièce surprenante qui déjoue les codes installés d'une représentation et nous invite à prendre conscience de notre dette commune en bousculant nos attentes. Un formidable pied de nez mené avec talent par sept comédiens talentueux. Surprises, rebondissements, et spectaculaire sont au rendez-vous.

 

 

Doit-on payer ses dettes ?

 

         Sous le nom Timon/Titus, le collectif Os'o prend le public à parti pour offrir un spectacle où  les spectateurs sont amenés à se questionner sur leur rapport à la dette et sur le système de fonctionnement de notre société, qui en a instauré le principe ». En quoi sommes-nous tous concernés par celle-ci ? Et  les conséquences que peuvent avoir l'accumulation des dettes qu’elles soient financières, familiales, sociales...  Comment se sentir libre dans une société où tout est dette ?  Est-il possible de vivre en société sans être soumis à ce système ?

 

 

Un spectacle étonnant

 

            Le spectacle commence par un tableau macabre qui conforte le public dans son attente, il est venu voir des tragédies. Certains comédiens gisent à terre, sanguinolents. Une tête tourne sur un gramophone. Un homme torse nu en croix rappelle un supplicié. Cette image est comme une annonce au public : vous allez assister à un carnage. Pourtant, l'image lancée comme une publicité n'est qu'un leurre : le spectacle est construit de telle manière que le public soit en permanence déplacé dans ses attentes et bousculé dans ces habitudes, ses prévisions.  Alors qu'il s'attend à voir une tragédie, le spectateur assiste en réalité à la mise en scène d'un débat télévisé sur la dette. Les comédiens s'appellent par leur nom, ils transgressent ainsi l'illusion théâtrale, s'adressant directement à leur public. La confrontation des idées et des opinions est menée avec fougue par les comédiens assis chacun derrière des bureaux placés en fond de scène et à jardin, laissant libre l'espace central de la scène. Ils s'expriment à leur tour de parole, en allumant leur lampe de bureau, et avec un plastique de lumière vert ou rouge, ils soulignent leurs accords ou leurs désaccords sur les points de vue formulés.

 

            Le débat est mené avec énergie et entrain et finit par s'envenimer. Pour que la confrontation puisse trouver une issue, le collectif propose donc de jouer sous les yeux du public, une scène de vie de famille bourgeoise écroulée sous le nombre des dettes qu'ils ont les uns envers les autres. Le spectacle soudain change totalement d'ambiance, les comédiens se retrouvent à jouer au centre de la scène des membres d'une famille de cinq enfants qui viennent d'apprendre la mort de leur père. Ce qui ouvre alors la question dangereuse de l'héritage qui va tout faire basculer...  L'histoire se finit en pur carnage, les personnages s'entre-tuant par vengeance et haine.

 

            Les massacres des personnages rappellent bien sûr la tragédie dans les pièces de Shakespeare, mais ici le carnage est mis à distance grâce à son côté grand guignolesque qui permet de le rendre jouissif : voir les personnages s’entre-tuer et se relever ensuite, barbouillés de sang sur le corps est une des fantaisies du Collectif qui joue encore une fois sur la porosité entre réalité et fiction. Les artistes présentent donc un spectacle perturbateur car il joue avec les conventions théâtrales : il n'y a plus de quatrième mur, plus d'illusion.

 

            Les idées mises en place par le collectif Os'o sont très ingénieuses, le simple fait de jouer sur le titre de la pièce, en la nommant Timon/Titus, implique un certain public de connaisseurs qui s'attend à voir les pièces de Shakespeare, mais dès le début du spectacle un comédien vient s'excuser, il apprend à son auditoire que ni la pièce Timon d'Athènes, ni Titus Andronicus ne seront jouées ce soir. Pourquoi avoir alors nommé ce spectacle ainsi ? Le collectif a créé une attente chez le spectateur mais qui ne sera pas comblée ; il s'est donc formé une dette envers lui.

 

 

Une étroite collaboration

 

            La pièce du collectif propose aussi une interaction forte avec le public, qui est directement interrogé sur la question de la dette. Il est impliqué car il est en permanence sollicité à percevoir les différentes références aux œuvres de Shakespeare ; lorsque le public est plongé au cœur de la famille aristocratique, les personnages dépeints et leurs langages font directement référence à deux histoires de Shakespeare, et donne un point de vue sur la dette : dette de corps dans l’une et dette d’argent dans l’autre. Ainsi, parler de la dette a un caractère positif car avoir une dette envers son public, comme l'énoncent les comédiens à la fin du spectacle, permet de créer un lien entre la scène et la salle. S'ils ont une dette envers le spectateur, cela veut dire qu'ils sont, d'une certaine manière, attaché à lui.  A plus grande échelle, chacun est donc attaché à l'autre de part la dette qu'il a envers elle ou lui. La dette serait donc facteur de lien social, et permettrait de consolider les relations. Car lorsqu'on reçoit de quelqu'un, on peut avoir ce sentiment d'une dette qui alors pousse à la gratitude, à la reconnaissance pour la personne et donc à devenir plus attentif aux autres. Ainsi, avoir une dette c'est prendre conscience de la richesse du partage, des échanges de services. C'est pourquoi, le spectacle a permis de mettre en lumière la différence qu'il y a entre dette et obligation morale, la première est une décision libre, la deuxième est, au contraire, un devoir qui contraint d'agir, sans liberté, donc qui ne convoque pas les sentiments, qui laisse de marbre, et ne permet pas la collaboration.

 

            De plus, le jeu des comédiens est très énergique, ils savent retenir l'attention du public. Ils sont captivants sans rendre captifs ! C'est un spectacle qui veut à la fois être spectaculaire et performatif avec son côté sanguinolent et à la fois réflexif avec la question de la dette. D'ailleurs, une vraie réflexion est menée par ce débat car les comédiens exposent chacun des points de vue singuliers et totalement différents, le public est donc confronté aux différentes opinions et il peut, à leur écoute, se construire sa propre idée sur le principe de la dette et amener chacun à se questionner plus largement sur le monde.

           

            Le spectacle est donc à mettre en rapport avec les spectacles de rue où chacun assiste à un événement en participant aussi bien par sa réflexion que par sa disponibilité d'écoute et d'être émerveillé, laissant l’œuvre questionner chacun à sa manière. En effet, dans leur attention au spectateur, leur adresse directe, et le débat qu'il mène au sein de leur pièce, chacun des comédiens a à cœur d'être proche du public, de le rencontrer dans sa différence. Et leur jeu énergique porte le spectateur à être au plus près de l'action menée ; ainsi une véritable collaboration est permise grâce à ce spectacle haut en couleur.

 

        Pour conclure, le collectif Os'o réussit avec brio, une pièce d'une inventivité remarquable, grâce à une équipe soudée et un profond désir de rencontre du public.

 

Rachel Masurel

 

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26 mars 2016 6 26 /03 /mars /2016 18:12

 

Critique du spectacle Le mouvement de l'air de Adrien M et Claire B

 

 

Adrien Mondot et Claire Bardainne ont présenté leur nouveau spectacle, Le mouvement de l'air, au Théâtre des Quatre Saisons, le vendredi 5 février 2016. Le travail de leur compagnie s'appuie depuis plusieurs années sur le mélange des arts numériques et chorégraphiques. Adrien Mondot, créateur du logiciel eMotion[1], propose une conception numérique interactive générée et animée en direct qui est projetée sur un écran scindé en deux et sur le sol. Jérémy Chartier, musicien crée, sur le plateau, une ambiance sonore et musicale à l'aide de percussions, de guitares (électrique et acoustique) pour accompagner les trois danseurs. Comment ce spectacle réussit-il à créer un univers illusoire au-delà de l'aspect technologique ?

(c) Romain Etienne

(c) Romain Etienne

Le ton est rapidement donné avec un premier tableau au rythme très enlevé où les trois danseurs circulent de cour à jardin en privilégiant une succession de ruptures, de portés et d'accélérations. S'ensuivent alors plusieurs tableaux, avec différentes empreintes esthétiques. Ces changements d'ambiances sont généralement initiés par la création numérique qui, selon les couleurs et les modèles animés, influent les danseurs et le musicien. Le spectateur évolue donc entre des ambiances oniriques (fumée au plateau, nuages projetés, danseurs en suspension), graphiques (lumières noires et blanches, lignes lumineuses, jeux d'ombres et pixels) et d'autres plus poétiques (projections évoquant des clapotis, mouvements très lents au sol, lumière bleutée). Ainsi, la création numérique devient un cinquième interprète, qui donne le ton aux autres, qui plante le décor. Du derviche tourneur, aux corps en suspension en passant par les passages au sol, tout est fait pour faire oublier la pesanteur, la frontière de l'aérien et du terrestre…

 

Ce qui transporte dans ce spectacle c'est la non-visibilité de l'effort. Les danseurs enchaînent les portés insolites et remarquables sans les annoncer ni les accuser. Ils deviennent acrobates, suspendus à plusieurs mètres du sol, sans que cela soit mis en scène comme exceptionnel. Et c'est peut-être cela qui fait la richesse du spectacle, l'absence de besoin pour les concepteurs de prouver, d'appuyer, le caractère extraordinaire ou difficile. Le spectateur a donc la possibilité d'être uniquement happé par la beauté, l'esthétisme du mouvement, l'enchaînement fluide des pas. C'est de cette fluidité que vient l'impression d'effort invisible, on ne voit que des corps qui se meuvent, les costumes sont confectionnés pour maximiser la liberté du mouvement. Ainsi, le regard est happé par ces corps qui deviennent lignes et formes, il s'agit d'accepter les corps comme fusionnant avec le dispositif numérique et donc comme partie intégrante de celui-ci.

 

Et voir des corps au plateau, non plus des corps sexués mais indifférenciés, permet de savourer uniquement leur technique. Aucun des trois interprètes ne porte plus que les autres le spectacle, ils sont tous danseurs, se portent, dansent les uns avec les autres sans considération de genre ou de sexe. Ce type d'initiative est à saluer, surtout quand, comme ici, ce n'est pas un choix engagé, revendicateur mais uniquement motivé par l'envie d'esthétisme et d'égalité des corps. Voir ainsi cette indifférenciation au plateau de façon naturelle et non argumentée a été un réel plaisir.

 

Ainsi, avec Le mouvement de l'air, Claire B et Adrien M, conjuguent un dispositif scénique et technique avec la danse et la musique. Le résultat est d'une cohérence absolue, et permet une unité qui pousse à l’émerveillement. Tout fonctionne de façon si parfaite qu'il ne reste plus au public qu'à apprécier le spectacle et à s'évader. La vidéo devient un outil, vecteur d'images esthétiques qui offrent au spectateur la possibilité d'y imaginer ce qu'il souhaite.

 

C'est un spectacle qui invite son public à l'onirisme. Si rien ne vient troubler sa cohérence et sa beauté (il faut notamment penser à la projection qui, sublime, de face peut perdre de sa valeur dès que le spectateur est décentré), c'est un moment qui peut relever de l’émerveillement. De ces spectacles qui vous laissent bouche-bée du début à la fin, avec une impression extraordinaire de première fois.

 

Mais c'est sans compter les cinq dernières minutes du spectacle qui viennent complètement rompre avec cet univers qui, parfois, frôle le mauvais goût sans jamais l'atteindre (et c'est là une grande prouesse). Malheureusement, la subtilité s'achève dans un dernier tableau qui justement tombe dans ce mauvais goût causé par un excès dans la proposition (chanson de variété française, images sirupeuses…). La définition même de l'expression « se tirer une balle dans le pied ».

 

Ainsi, malgré cette image de fin qui fait sortir d'un imaginaire si bien amené par le spectacle, Le mouvement de l'air reste une pièce à voir, à savourer et, pour une fois, à contempler en se laissant porter par les propositions et le merveilleux… Et c'est cela qui est le plus plaisant.

 

 

 

Emeline Hervé

 

 

 

[1] Logiciel interactif de création d’animation se basant sur des modèles physiques existants (particules, pixels, feuilles, lignes). Ces images offrent l’illusion d’une présence numérique sur scène. Adrien Mondot anime en direct à l’aide d’une tablette et d’un stylet, les matières.

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  • : Le "krinomen" est un débat critique qui regroupe les étudiants d'Arts du spectacle (théâtre et danse) de l'Université Bordeaux Montaigne, de la Licence 1 au Master 2. Ce blog constitue un support d'informations sur les spectacles vus pendant l'année, ainsi que le lieu de publication d'une partie des travaux réalisés en TD de critique (critiques de spectacles, entretiens...).
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